
Dans ce roman, on suit de discothèque en bar-mitsva les expéditions d’un musicien de variétés qui s’enfonce dans la surdité, au moins métaphoriquement. Parfois ironique, souvent désabusé, il dit le quotidien de ces intermittents dont on n’entend jamais la voix. Il n’y a pas de grandes salles, juste des bals et les mauvais tours de la vie. On voyage beaucoup mais c’est sans intérêt : les lieux et les dates se confondent, les gens et les chansons sont les mêmes. Est-il utile d’avoir été musicien, de l’être encore selon les autres ? L’intermittence ne répond à rien et permet à peine de gagner son pain...
Il s’agit pourtant bien de métier, avec des secteurs et des spécialités, et même pour le mien d’un métier difficile et risqué. Pourquoi donc nous priver de tout ? De statut, de profession, et bientôt, comme certains le voudraient, d’indemnités. Tout cela ne m’amuse pas : je me sens privé de destin autant que de musique, et déjà je devine que je n’aurai même pas une fin héroïque comme Lee Morgan se faisant buter par sa femme ou Chet Baker, ange déchu, tombé bêtement du balcon. C’est plutôt désespérant. Olivier quant à lui a choisi d’être incinéré et dispersé aux quatre vents. Cette idée aurait pu me plaire mais j’ai vu The Big Lebowski et me méfie des vents contraires.
B. M.
juin, 2022
10.00 x 19.00 cm
208 pages
ISBN : 978-2-330-16625-0
Prix indicatif : 21.80€
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Et c'est bien l'envers du décor que l'auteur a choisi de nous livrer avec ce premier roman. Loin des paillettes, vous embarquerez dans ce car de tournée, avec ses galères du quotidien. C'est un livre engagé que vous refermerez et qui changera votre regard sur les artistes que vous croiserez au détour de mariages ou de festivals.
Un vibrant hommage aux artistes restés dans l'ombre, un réquisitoire contre les contempteurs du régime de l'intermittence.
43 feuillets a beau être un roman, c’est un document tendrement mélancolique sur des artistes qui travaillent « en pointillés » en accumulant « les petits contrats, à durée déterminée, une soirée plus une soirée plus une soirée jusqu’à 507 heures, à moins que ce ne soit plus désormais je ne sais plus, ils ne cessent d’augmenter le nombre d’heures nécessaires entre deux dates anniversaires, mais bon disons 507 heures ». C’est aussi un tableau du monde du travail.
Dans un roman plein d’autodérision bougonnante, mais sans concession, Bruno Messina raconte les nuits blanches, l’alcool, la malbouffe, les kilomètres en car, la fatigue, les obstacles administratifs, les corvées de montage et démontage... Bref, la face cachée d’une vie d’artiste qui fait souvent rêver.
Le romancier narre par le détail ce présent de petits calculs. « Pour boucler nos dossiers, nous faisons quelques bals de village, mais aussi les aubades, parfois les églises, les monuments aux morts. » Puis, « entre deux dates, on n’est plus rien ».
C’est donc un roman-vrai à brandir par-dessus les calicots et à lire par tout le monde parce qu’il y est aussi et surtout question de beauté, de musique et de dignité. Dans cette phrase de John Cage par exemple, citant Satie, une phrase à la fois musicale et philosophique que le narrateur fait sienne lorsqu’il dit "accepter qu’un son soit un son et qu’un homme soit un homme." Et on ajoutera : pas un esclave du système.
Son roman sensible et juste, fait écho au parcours du combattant des artistes, que nos écoles forment et qui se retrouvent sans débouchés, sans soutien ni reconnaissance. Et à leur chemin semé d’embûches et de médiocrité, quand ils ont l’excellence, la poésie, la beauté, est au bout des doigts. Songeons-y, lorsque, au bal du 14 juillet ou du 21, nous guincherons sous les lampions et les chorus des musiciens en costumes aux revers satinés.