
1941 - 2021
“Mon premier acte cinéphilique eut lieu le jour où je suis allé à la Cinémathèque, rue d’Ulm, quand j’étais élève en philo au lycée Henri-IV à Paris. J’y suis allé avec Volker Schlöndorff qui était en classe avec moi. C’était le début de l’année scolaire et je me souviens encore du triple programme : L’Espoir (1945) de Malraux, Los Olivados (1950) de Buñuel et Der blaue Engel (L’Ange bleu, 1930) de Sternberg.”
Bertrand Tavernier, extrait de l’entretien avec Thierry Frémaux pour Amis américains.
Réalisateur, scénariste et producteur, Bertrand Tavernier était aussi président de l’Institut Lumière. Chez Actes Sud, avec la complicité de Thierry Frémaux, il avait initié une collection d’ouvrages de cinéphilie coédités avec l’Institut, dont Andreï Konchalovsky, ni dissident, ni partisan, ni courtisan. Conversations avec Michel Ciment, Au travail avec Jean Eustache de Luc Béraud, Conversation avec Claude Sautet de Michel Boujut, ou Hollywood, la cité des femmes d’Antoine Sire. Il est lui-même l’auteur du très remarqué et monumental Amis américains. Entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood. L’amour du cinéma m’a permis de trouver une place dans l’existence, sa longue conversation avec Thierry Frémaux menée pour la réédition d’Amis américains, en 2019, avait fait l’objet d’une publication en volume indépendant.
En 2013, Bertrand Tavernier avait créé la collection “L’Ouest le vrai” dans laquelle il faisait vivre sa passion pour le western en publiant les romans à l’origine des adaptations cinématographiques du fameux genre. Il a écrit une postface d’une grande érudition et d’un enthousiasme communicatif pour chacun de ces livres dont le vingtième et dernier de la collection, Les Pionniers d’Ernest Haycox, a paru en janvier dernier.
INSTITUT LUMIÈRE
octobre, 2019
10.00 x 19.00 cm
96 pages
10.00€
avril, 2019
14.50 x 24.00 cm
272 pages
21.00€
août, 1997
13.00 x 24.00 cm
0 pages
21.40€
septembre, 1996
13.00 x 24.00 cm
0 pages
24.50€
novembre, 1994
13.00 x 24.00 cm
0 pages
30.20€
novembre, 1993
10.00 x 19.00 cm
0 pages
10.70€
L'OUEST, LE VRAI
À lire : Les Pionniers, vingtième livre de la collection “L’Ouest le vrai” par Bertrand Tavernier
LES PIONNIERS, VINGTIEME LIVRE DE LA COLLECTION
Vingt livres déjà. Dont trois seulement avaient été traduits, peu remarqués, avant de retomber dans l’oubli. Tous les autres étaient inédits et beaucoup avaient inspiré de très grands films de Hawks, Hathaway, Wellman, Tourneur, Huston. Vingt livres et un grand sentiment de fierté. Celui d’avoir exhumé, fait connaître tout une série de très grands livres, révélé plusieurs immenses romanciers, de W. R. Burnett à Ernest Haycox en passant par A. B. Guthrie et son cycle du Big Sky, Tom Lea, Van Tilburg Clark. Sans oublier le plaisir que j’ai pris à découvrir des auteurs comme Luke Short, le premier à mêler film noir et western, Charles Locke, Niven Busch.
Une aventure démarrée il y a de cela quelques années et à laquelle je n’osais pas croire. J’avais éprouvé de grands coups de cœur pour des romans scandaleusement méconnus, tous différents dans leur approche comme leur style. On passait du dépouillement simenonien de Burnett au lyrisme ample et chaleureux d’Ernest Haycox, Tom Lea, Harry Brown, au ton épique, majestueux de Guthrie, Le May. Beaucoup de ces romans, battant en brèche les idées reçues, contenaient de splendides portraits de femmes et mettaient à mal les codes machistes (Les Furies, Du haut des cieux les étoiles, Le Vent de la plaine, Les Pionniers et la plupart des Haycox), bousculaient les conventions narratives : La Fureur des hommes de Charles Locke, par exemple, mêle journal intime et récits épistolaires. Je trouvais scandaleux qu’ils n’aient jamais été traduits. En outre ils traitaient de sujets graves, toujours actuels. Il suffit de penser à certaines décisions criminelles de Busch Jr et Trump pour mesurer à quels points ces livres nous parlent d’un passé qui n’est ni mort ni même passé : la destruction de la nature, les affrontements raciaux, le génocide des Indiens, les rapports avec la Loi, l’Ordre : Saint Johnson, du Républicain Burnett, pointait les dangers de la culture des armes à feu ; La Captive aux yeux clairs était le premier grand roman écologique sur la mise à sac d’un Paradis Perdu de notre fait ; L’Etrange Incident était le premier à analyser la dictature de la virilité, les mécanismes psychologiques et sociaux susceptibles d’attiser un lynchage qui n’était pas considéré, à l’époque de Roosevelt, comme un crime fédéral. Tout est donc parti d’un coup de cœur et d’un rêve : parvenir à partager l’amour que j’éprouvais pour ces romans, avec d’éventuels lecteurs. Et j’avais choisi d’abord quatre titres : Terreur apache, Des clairons dans l’après-midi, L’Aventurier du Rio Grande et La Captive aux yeux clairs. J’ai réussi à convaincre Françoise Nyssen puis Bertrand Py et Martina Wachendorff, et me suis lancé dans cette entreprise de réhabilitation, d’exhumation, imitant le commandant Dellaplane dans La Vie et rien d’autre, dénichant des chefs-d’œuvre qui nous font traverser les plaines du Dakota, les collines du Wyoming, la frontière séparant le Texas du Mexique, les forets giboyeuses du Montana, voyages, explorations qui prennent tout leur prix à l’époque du confinement et du repli sur soi.
Je trouve d’autant plus émouvant que l’on célèbre cet anniversaire d’une collection qui démarra en fanfare avec Des clairons dans l’après-midi d’Ernest Haycox, en publiant Les Pionniers, chef-d’œuvre testamentaire du même auteur, d’une humanité bouleversante. Deux titres majeurs dont le lyrisme me fait parfois penser à la simplicité poignante de certaines chansons country qui vous plongent en quelques mots au cœur des émotions les plus profondes : le I am so lonesome I could cry de Hank Crawford avec son oiseau too blue to fly ou, dans Me and Bobby McGee de Kris Kristofferson,
En galère à Bâton Rouge, attendant un train
Me sentant presque aussi fanée que mes jeans.
J’ai ressenti le même genre d’émotions dans ces romans dont la simplicité apparente dissimule un entrelacs de thèmes complexes puissants ou déchirants. Et je sais qu’ils font partie de ma vie, qu’ils m’accompagneront toujours et, comme l’écrit Gabrielle Roy dans La Détresse et l’enchantement, « qu’ils se logent dans quelque coin de la mémoire d’où on ne pourra les faire sortir. Ils nous attendent à un tournant de la pensée, la nuit souvent, quand nous ne pouvons nous rendormir, alors que ce sont toujours les vieilles souffrances qui viennent nous retrouver les premières. Peut-être, quand nous serons cendre et poussière, ou âme immortelle, que nous nous en souviendrons encore. Et s’ils nous traquent ainsi à travers la vie, et peut-être au-delà, c’est sans doute qu’ils contiennent une part de vérité. » - Bertrand Tavernier
À regarder : Conversation entre Russell Banks et Bertrand Tavernier au théâtre de la Colline, le 23 janvier 2017
À lire : Newsletter de l'Institut Lumière - Souvenirs de Bertrand Tavernier par Martin Scorsese
À lire : Newsletter de l'Institut Lumière - Bertrand par Thierry Frémaux
Site de l'Institut Lumière