A l’heure où la forêt amazonienne est ravagée par des incendies d’une ampleur inédite, voici un florilège de citations extraites d’ouvrages signés Francis Hallé, Ernst Zürcher, Bruno Sirven, et illustré avec un dessin de David Dellas, sur les arbres, sur leur beauté, leur incomparable nécessité pour l’équilibre de la planète.
“Je suis profondément convaincu que, dans l’état actuel de l’économie libérale mondialisée, aucune initiative gouvernementale ne saurait arrêter la déforestation des tropiques, ni même la ralentir ; la solution, à supposer qu’elle existe, ne peut venir que d’une prise de conscience du grand public et ce dernier, même s’il se sent concerné par ces forêts, n’a pas encore une vision très claire de la beauté et de l’intérêt de ce que nous sommes en train de perdre.”
Francis Hallé, Plaidoyer pour la forêt tropicale, p. 10
Les grandes forêts primaires des tropiques – celles qui n’ont jamais été modifiées par l’homme – ont pratiquement disparu, il n’en reste que des lambeaux. Leur dégradation constitue une perte irréparable, car elles sont le sommet de la diversité biologique de notre planète.
“La forêt amazonienne fonctionne alors comme un gigantesque cœur hydrologique (biotic pump), attirant les masses d’air de l’Atlantique et les enrichissant en eau, pour effectuer une demi-douzaine de cycles d’évapotranspiration-précipitation, progressant d’est en ouest – pour finalement s’élever dans le massif des Andes et dévier vers le nord (Gulf Stream) et vers le sud (Argentine) en donnant naissance à des pluies chaudes à des latitudes éloignées de l’équateur. On peut donc voir les forêts tropicales comme une composante de la biosphère garantissant à la fois le fonctionnement et la stabilité du grand cycle géoclimatique. Dans ce contexte, les chercheurs mettent en évidence un autre phénomène essentiel : si une zone côtière est déforestée sur une largeur de 600 kilomètres ou plus, les masses d’air océanique humide ne peuvent plus gagner l’intérieur des terres, condamnant leurs forêts à y dépérir. ”
Ernst Zürcher, Les arbres entre visible et invisible, p. 20
Arbres et forêts sont aujourd’hui menacés, alors qu’ils pourraient devenir nos meilleurs alliés. Un nouveau regard sur la nature, selon une démarche scientifique, permet de lever le voile des apparences et de révéler des particularités insoupçonnées des arbres. Des savoirs traditionnels apparaissent alors parfois biologiquement visionnaires – tandis que, par ailleurs, la science découvre des phénomènes dont même la tradition n’avait pas idée.
“Il nous faut donc redécouvrir l’arbre ou continuer à faire connaissance avec lui. La présence d’un arbre est une chance inconsidérée. Prouesse biologique, concentrée de technologie, beauté naturelle ou monument végétal : l’arbre est notre valeureux compagnon de fortune et, si banal soit-il, il demeure irremplaçable. Le plus vulgaire arbre de proximité a une valeur inestimable, ne serait-ce que parce qu’il est ici, simplement présent, toujours accessible. Pourquoi avoir recours à l’“ailleurs” si l’arbre peut officier sur place, pourquoi importer ce qu’il se charge de nous donner localement ?”
Bruno Sirven, Le génie de l’arbre, p. 18
Le génie de l’arbre, c’est de savoir tout faire avec presque rien, ou plutôt sans nous priver de quoi que ce soit, c’est d’agir sur tout ce qui l’environne sans s’agiter, c’est de protéger et de produire, de nous offrir une infinité de choses matérielles et immatérielles, indispensables à l’établissement et au développement de la vie dans la plupart des régions du monde.
“La question de l’arbre ne peut se réduire à une unique approche forestière, sachant que plus la présence de l’arbre est dispersée dans l’espace (un maillage bien réparti), mais aussi dans le temps (diverses classes d’âge pour un renouvellement continu), plus il pourra prodiguer ses effets bénéfiques, notamment sur le plan climatique. N’oublions pas qu’un désert est d’abord un pays sans arbres… L’arbre est donc envisageable partout, sous toutes ses formes et dans tous types de situations : alignements, haies, ripisylves, bosquets, en bordure ou au sein des parcelles… Et dans des compositions à base d’espèces variées, naturellement présentes ou acclimatées au contexte local. Bon nombre de nos agricultures sont héritées d’un modèle agro-sylvo-pastoral, basé sur un principe de complémentarité et de diversification des productions.”
Bruno Sirven, Arbres et arbustes en campagne (dessins de David Dellas) , p. 14-15
Par la puissance de son réalisme, cet ouvrage procure un sentiment de proximité et d’émerveillement, et, comme l’indique Francis Hallé dans la préface, “nous voyons enfin les arbres et arbustes de nos régions comme ils sont réellement, représentés avec une précision et une sensibilité telles que leur identification devient aisée et presque immédiate”.
“Qu’est-il, ce grand Chêne ? Pour le géographe, une marque paysagère, témoin d’ancestrales pratiques agricoles ; pour le forestier, un cylindre de bois* “noble”, susceptible d’être abattu, débité puis vendu à un prix intéressant. L’informaticien y verra un défi pour la simulation graphique et se mettra à la recherche des algorithmes les plus significatifs. Etes-vous porté vers la mystique ? Alors ce Chêne devient un trait d’union entre le ciel, le monde des hommes et la Terre, un symbole cosmique donnant accès à l’universel ; une approche naturaliste y verra plutôt, affublée d’un nom latin, une forme de vie remarquable par sa longévité et l’ampleur de ses surfaces d’échange. Motif urbain ? Source de glands pour nourrir les porcs ? Simple tache d’ombre pour le marcheur de l’été ? Pas du tout, dit l’adepte des médecines douces, dans cet arbre circule un flux d’énergie tellurique : adossez-vous à son tronc et vos douleurs lombaires vont s’apaiser. Vous n’y êtes pas, dit le philosophe, ce Chêne est avant tout la matérialisation de l’écoulement du temps, à la fois mémoire naturelle et support de mémoire culturelle, il est le principe même de la civilisation.”
Francis Hallé, Plaidoyer pour l’arbre, p. 11