Après les blessures faites à la terre dans «La Malchimie», Gisèle Bienne élargit le cercle creusé dans la plaine foudroyée autour de sa famille désunie par un héritage inéquitable et dévoile les blessures que les «hommes-frères» se font au nom du droit au salaire différé.
mars, 2021
10.00 x 19.00 cm
240 pages
ISBN : 978-2-330-14864-5
Prix indicatif : 21.00€
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Ce roman ciselé s’inscrit dans le même sillon que le bouleversant récit de l’auteure La malchimie, ode au petit frère Sylvain, ouvrier agricole rongé par un cancer dû aux produits phytosanitaires.
L’intensité des sensations lors d’orages mémorables, les joies du travail en commun, la présence amicale des animaux, les rires partagés alternent avec des moments d'anxiété : « le merveilleux et le terrible étaient à la maison indissociables » — dureté du quotidien, périodes de pauvreté, conflits entre les parents et cette étrange mélancolie du père, léguée par son propre père, partisan de Jaurès revenu brisé de la guerre de 14 (…). De même qu’elle a réussi, enfant, à faire revivre les fleurs du jardin d’agrément laissé depuis des lustres à l’abandon, (elle) Gabrielle cherche, artiste, à recréer, « faire reprendre comme on dit à propos des plantes, la capacité de penser et agir ensemble » (Isabelle Stengers)
Dans ce texte court mais dense, Gisèle Bienne, avec une infinie délicatesse, raconte une épopée familiale traversée de procès que s’intentent les sept frères et soeurs au motif d’un héritage inéquitable (…). Gabrielle, la narratrice, se refuse à ces déchirures, ne prenant parti pour aucun des clans. Elle préfère se souvenir... et faire défiler dans sa mémoire les étés en compagnie du frère bien-aimé, réveiller cet amour si fusionnel... des étés dans cette plaine enchantée, où elle ressuscitait les jardins oubliés, où elle s’asseyait à la table familiale, avec les autres, avec le père et la mère, en famille unie.
Gisèle Bienne a une vitalité d’écriture à laquelle on ne résiste pas. Elle a aussi une grande force de mémoire. Si elle n’en finit pas, à travers romans ou récits, de raconter sa famille et son enfance, elle parle surtout de violence, de solitude, de tyrannie, de rêves d’ailleurs, d’injustice, d’écologie… Concise et précise, elle donne à vivre sentiments et situations avec énormément d’efficacité. On sent qu’elle n’est pas détachée de ce qu’elle écrit. Elle est d’une famille et de ce plat pays à elle, cette plaine qui l’envoûte dont elle témoigne avec une ferveur à laquelle elle convie, de références en citations, nombre d’auteurs parmi ceux qu’elle aime. Il faut l’entendre.
Le récit, rythmé par de fabuleux portraits de la plaine, agence ces tentatives de médiation, l’évocation de l’enfance au temps de l’agriculture paysanne et la folie flamboyante de Sandra, (…) : « Nous voilà pris dans le cercle de craie, dans le cercle de flammes, dans le cercle de folie. » Récit au présent dans une écriture précise et dépouillée : « La tyrannie des discours, des enflures, j’y étais déjà allergique », dit Gabrielle.
Le livre est d’abord un document, précis, détaillé, sur un dispositif mal connu, source de fréquents conflits familiaux dans les milieux agricoles. (…). Mais L’homme-frère se lit aussi à deux autres niveaux. C’est sa richesse et sa singularité. D’abord celui du conte moral, à l’image du Cercle de craie caucasien, (…). Entre celui qui exploite la terre et conteste l’héritage et celui qui en a été injustement écarté, à qui donner raison ? L’autre niveau de lecture est l’introspection familiale et affective. Tranche de vie, le livre interroge la solidité des liens filiaux et plus largement la fragilité des parcours et des vies à travers, notamment, la personnalité de la jeune Sandra qui participe aux (authentiques) ateliers d’écriture de la romancière.
Avec ce nouveau roman, Gisèle Bienne continue à creuser avec délicatesse, franchise et poésie, le sillon d’une littérature ancrée dans la réalité. Dans le paysage. De ces terres champenoises où elle a grandi à la ferme, troisième d’une famille de sept enfants, seule à poursuivre ses études, elle a fait une immense richesse intérieure. (...) Immense plaisir de retrouver l’univers rare et singulier de la rémoise Gisèle Bienne, explorant dans L’Homme-Frère le chamboulement de la place de chacun à la mort des parents.
L’écriture vibre de toute l’émotion retenue, suggérant ce qui jamais ne s’est dit. Admirablement juste et limpide, elle touche profond de bout en bout.
Avec tendresse et beaucoup de mélancolie, elle se rappelle les petits bonheurs de la vie à la ferme : un orage qui gronde avant d’éclater sur la plaine crayeuse de Champagne, un jardin ressuscité, un chant d’oiseau. La délicatesse de l’auteure l’empêche de décrire la violence des déchirements. Elle y oppose l’évocation d’une plaine enchantée, écrasée sous le soleil de son enfance. Mais les souvenirs sont ce qu’ils sont : ils appartiennent au passé.
Dans « cet intime qui se déchire », les orages des infinies plaines champenoises, la nature vivante et l'amour fusionnel entre une soeur et son frère.
Le doux tranchant des mots de l’écrivaine cisèle les plaies les plus profondes. (…). Gisèle dévoile ici à nouveau l’existence âpre des gens de la terre.